Nora. Nora sans Joyce aurait été Nora. Joyce n’aurait pas été Joyce, sans Nora. Même si cela est banal, il vaut la peine de le répéter, surtout après avoir vu le film Nora de Pat Murphy, tiré de la biographie de Brenda Maddox[1].

 

Dans son ambition démesurée de donner la parole au monde, Joyce a besoin de la mémoire et du style de Nora pour laisser filtrer le féminin. Nora n’est pas pour Joyce une partie de sa vie, elle est sa vie au féminin qui passe ironique dans Bloom enceinte et explose dans le monologue de Molly-Nora. Nora vit, Joyce renonce à vivre pour écrire. Nora prête (pas toujours de bonne grâce) sa vie à Joyce qui nous la redonne sous forme de taches d’encre.

 

Je ne suis pas sûr que dans le film Nora, on saisisse cela. Le metteur en scène donne trop d’importance à Joyce et à sa jalousie. J’aurais aimé voir le regard de Joyce écrivain (mais Joyce n’est rien d’autre. Il n’est ni père, ni frère, ni mari…) sur Nora plutôt que le regard de Brenda Maddox avec les lunettes jaunes de la jalousie de Joyce. Il aurait fallu avoir le courage de dire que Nora n’est ni dans les lettres cochonnes, ni dans les crises, ni dans ses sages mises au point. De dire qu’elle est Molly. Faire un film sur Nora sans Molly rend insipide cette figure de femme haut en couleur qui a donné à l’humanité un de ses plus grands écrivains.

 



[1] Maddox Brenda, Nora, Albin Michel,1990.