L’Américanité et les Amériques

Donald Cuccioletta, (dir.)

les éditions de l’IQRC, 2001

Au cours de la même année, les éditions de l’IQRC, avec à peu près les mêmes auteurs regroupés dans le Groupe interdisciplinaire de recherche sur les Amériques (GIRA), publient deux livres (L’Américanité et les Amériques et Le grand récit des Amériques) qui portent sur l’américanité, avec même un texte de Altamirano publié dans les deux livres !

L’américanité reposerait sur une commune indépendance acquise contre les métropoles européennes et sur l’implantation de sociétés marquées par l’idéologie libérale. Cela me semble juste, quoique très général. De plus, l’analyse ignore que « l’américanité » renvoie aussi au génocide des Amérindiens et à l’esclavage. Les auteurs affirment parfois qu’il faudrait tenir compte des Noirs et des Amérindiens, qui constituent les couches les plus pauvres de toutes les sociétés américaines, mais ils ne vont jamais au-delà de cette intention.

Il y a évidemment des divergences entre les textes, mais la ligne générale d’orientation semble la suivante : l’américanité permettrait de dépasser la vision économiste de l’intégration poursuivie par l’ALENA ; elle permettrait de penser notre destin commun, en nous démarquant du concept d’américanisation qui met l’accent sur la domination des USA.

On y célèbre la culture de masse, « tournée vers le continent » (Frédéric Leseman), comme si celle-ci n’était pas complètement dominée par les États-Unis. Céline Dion participe bien à cette culture de masse, mais en quoi est-elle québécoise en s’y insérant ? Elle a une voix extraordinaire et son gérant de mari est un promoteur de génie. Évidemment, je suis un intellectuel et je préfère de beaucoup Richard Desjardins à Céline Dion qui n’apporte rien de nouveau à la chanson américaine ou québécoise. Le Cirque du Soleil rejoint la masse, lui aussi, mais il est créatif et novateur, y compris au centre de l’Empire. Remarquons d’ailleurs que les deux livres du GIRA sur l’américanité n’abordent pas le problème de la protection culturelle de ce qui est québécois ou canadien (pour ce qui est des émissions de télévision, du cinéma, des livres…) face à l’hégémonie américaine, comme si ce protectionnisme relevait d’une maladie nationaliste qui s’attaquait au « bonheur » d’une culture commune.

Nous sommes évidemment des Français d’Amérique. Plus précisément, nous sommes des Québécois dont l’identité s’est constituée en intégrant des éléments qui nous viennent de France, des États-Unis, de l’Angleterre via le Canada… Je reste perplexe devant le projet du GIRA qui, sous le motif d’étudier notre américanité, tait la domination qu’exerce l’empire américain sur l’ensemble de la planète, y compris le Canada.

L’empire américain est préférable à ce que représentait l’empire soviétique, à ce qu’aurait pu être un empire fasciste, à ce que serait un empire intégriste. Les intérêts du Québec et ceux du Canada peuvent parfois se concilier avec ceux des États-Unis. Mais les USA, comme tout empire, voient les relations internationales à la lumière de leurs propres intérêts. Il ne faut pas l’oublier au nom d’une mythique américanité.

Les États-Unis ne sont pas homogènes. Il y a les États du Nord, dont le Vermont, plus proches de nous au plan de la mentalité que des États du Sud. Il y a des intellectuels et des groupes populaires qui questionnent les États-Unis au nom de la liberté, de l’égalité et de la solidarité avec les plus démunis. Je veux porter le même regard critique sur les États-Unis que celui que je pose sur le Québec et sur le Canada. Je rejoins ainsi la famille des progressistes quel que soit le lieu où ils habitent.

Je m’oppose donc au GIRA qui parle d’américanité sans avoir analysé et critiqué, lorsqu’elle le mérite, l’américanisation.