Étudiantes américaines. Un campus d’une université de la Côte Est américaine, dans les années soixante dix[1]. Un professeur de littérature, proche de la quarantaine, Andre, aidé par D. H. Lawrence et Ovide aspire dans des partouzes qui ne laissent pas que des égratignures, les jeunes étudiantes de son atelier de poésie. « Cherchez le point le plus faible. Frappez à la jugulaire. », disait-Andre pour que les mécanismes de défense, même les plus primitifs, disparaissent et afin qu’il puisse, lui, piètre poète, frapper à la fente vulvaire.

Une étudiant à la fois, ou à peu près.

Gillian, la protagoniste, sans doute la plus sérieuse du petit groupe d’atelier, est la dernière à tomber dans le piège qu’Andre pose à la chair fraîche, toujours renouvelée, de l’université. Chair qu’il partage avec sa femme, Dorcas, qui sculpte « des femmes à la sexualité agressive », « plus grandes que nature, primitives et spectaculaires (…) brutes, grossières, laides ». Ces sculptures scandalisent l’establishment mais elles ont tout ce qu’il faut pour perturber et exciter ces jeunes filles et pour les ouvrir à la fermeture de ce couple mystérieux si loin de la platitude des autres professeurs.

Sur le campus il y a d’autres mystères : de nombreuses fausses alarmes et quelques vrais incendies. Même sous la fenêtre du bureau d’Andre, on a essayé.

Gillian est amoureuse. Gillian a vingt ans. Gillian aime la poésie.

Quelle heureuse combinaison pour qu’elle fasse tout ce que l’on lui demande !

Leur rire était affectueux. Je jouissais de ce rire comme un chien à qui l’on a donné des coups de pieds mais qui reçoit maintenant des caresses, et en éprouve de la reconnaissance.

Ils vont passer leurs vacances en Europe. Au retour ils l’ont oubliée. Elle les cherche. Ils la revoient — sans doute pour la dernière fois.

Je me mis à pleurer de bonheur. (…) J’étais inerte, sans plus de résistance qu’une poupée de chiffon.

Gillian vomit. Dorclas la gifle et la jette hors de la chambre. Gillian descend à la cuisine, prend le reste du cigarillo d’André et… sans rien penser.

Par instinct.

Elle s’en va. Ils l’ont vue pour la dernière fois — comme prévus.

Les pompiers ne sauveront ni Andre ni Dorcas.

Par instinct.

Comme sans doute par instinct la première fois, dans le bureau, elle avait dit à Andre : « Je… vous aime ». Et

D’une poussée, il me força à m’agenouiller (…) Sa main sur ma nuque n’hésitait pas.

 

Elle les a tué, sans les accuser.

Gillian est une bonne élève.

Gillian a frappé à la jugulaire.

 



[1] Joyce Carol Oates, Délicieuses pourritures, Philippe Rey, 2003. La traduction du titre est loin d’être littérale. Le titre original, tiré de l’appel du totem du Louvre qui ouvre le roman : « N’aie pas peur. Nous sommes des bêtes, c’est notre consolation. (…) Nous sommes des bêtes, nous n’éprouvons aucun sentiment de culpabilité » est « Beasts ». Certes la traduction littérale « Bête » fait trop penser à « imbécile » ou « lourdaud », mais il est difficile d’imaginer délicieuses pourritures  dans l’appel du totem : « Nous sommes des délicieuses pourritures… ». Très difficile, parce que très loin du ton du roman. Pourquoi pas, tout simplement, « animaux » ?