Carpentier, Alejo, Le Siècle des Lumières, Folio, 1962.

 

Ce grand roman de cet auteur cubain raconte comment la Révolution française se répercute sur les colonies de l’Amérique du Sud.

 

Le roman débute par la rencontre à la Havane de trois adolescents (Sofia, son frère Carlos et leur cousin Esteban)  avec le franc-maçon Victor Hugues qui les enchante en leur faisant découvrir les idéaux des Lumières, en plus de révéler  à Sofia les plaisirs de l’amour charnel.

 

Esteban suit son mentor à Paris où il participe aux activités révolutionnaires, part en mission au pays basque en vue de traduire en espagnol les écrits révolutionnaires  français, avant d’accompagner Hugues à la Guadeloupe et de le précéder en Guyane. C’est à travers le regard d’Esteban qu’on suit le parcours de Victor Hugues qui rejette la franc-maçonnerie pour adhérer au jacobinisme, devient accusateur public à Rochefort, avant d’apporter à la Guadeloupe la liberté, par l’abolition de l’esclavage, et la guillotine pour ceux qui n’adhèrent pas à la vision de Robespierre.

 

Un passage, amusant pour nous, décrit la rencontre en Guyane d’Esteban avec un Acadien qui considère les Acadiens comme les seuls authentiques Français, car ils sont demeurés fidèles à la France mémorable, celle de la monarchie et de l’Église catholique, ce qui a entraîné leur déportation (p. 290 et ss.).

 

Esteban fuit la Guyane et revient à la Havane, dégoûté de cette Révolution qui a sacrifié tant de vies humaines, dont celle de Girondins qui adhéraient pourtant aux valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité. Sofia, toujours animée par les idéaux révolutionnaires, réagit au récit de son cousin, en justifiant  l’implacabilité des actions de Victor Hugues au nom d’un romantisme qui se veut réaliste: « On ne pouvait vivre sans idéal politique; le bonheur des peuples ne pouvait être atteint du premier coup […] Elle admettait que des excès de la révolution étaient déplorables; cependant les grandes conquêtes humaines ne s’obtenaient que par la douleur et le sacrifice. En somme, rien de grand ne se faisait sur terre sans effusion de sang. »

 

Sofia, malgré Esteban qui essaie de la retenir, décide de rejoindre en Guyane Victor Hugues, par amour pour lui et pour les idéaux de la Révolution. Lorsque Bonaparte rétablit les pouvoirs de l’Église par le Concordat de 1801, le gouverneur Hugues se rend à l’église pour participer à son office, comme si de rien n’était. Avec la ré-instauration de l’esclavage dans les colonies par le même Bonaparte, Hugues utilise contre les Noirs la même férocité qu’il avait manifestée dans la défense des idéaux révolutionnaires, dont celui de la fraternité. Désenchantée, Sofia quitte Hugues et la Guyane.

 

Installée à Madrid, elle obtient la libération d’Esteban qui avait été condamné et emprisonné pour franc-maçonnerie.  Lors de la révolte du peuple espagnol contre la domination des armées de Bonaparte, Sofia décide de participer à cette révolte contre la tyrannie. Esteban, plus par amour de Sofia que par conviction politique, accompagne Sofia et disparaît avec elle durant ce mouvement populaire, sans laisser de traces.

 

J’ai aimé ce roman qui permet de sentir, voire de comprendre les effets de la Révolution française sur les colonies, à travers de personnages bien campés.