La grâce. J’ai pris La première gorgée de bière[1] devant la cheminée, ce matin, entre printemps et hiver. J’ai bu la dernière à six heures, quand le jour se réveille.

Je dépose le livre et ajoute une bûche, mécaniquement. Les braises ne feignent même pas d’écouter mon souffle hésitant, lointain, perdu quelque part entre Poitiers-Sud et Talamona. Je me rassieds et me repose dans la mélancolie que le jour naissant n’ose pas dissiper. Fasciné par la légèreté de l’écriture, léger, je rêve de légèreté de pensée. Comme Philippe Delerm dans ce collier de perles timides, je voudrais écrire : léger sans être vide. Suivre les détails à la trace sans ostentation, sauter d’un lieu à l’autre sans sautiller et sans bondir non plus. L’âme inquiète du cabri et le corps calme de la vache, j’aimerais avoir. J’aimerais trouver le mot juste, sans qu’il soit trop juste… écrire, guidée par le souffle de cette langue que j’aime tant et qui n’est pas mienne.

Petites proses en poème, voilà ce que j’aimerais écrire.

L. vient la chercher pour le tennis de 8 heures. À côté des Jésuites.

— As-tu lu La première gorgée de bière ?

Mon visage est loin de dissimuler le plaisir qui vient de me traverser. Son « Oui », semble dire « n’insiste pas, essaye de comprendre… ». Je ne comprends pas. J’insiste :

— L’as-tu aimé ?

Non. Elle ne l’a pas aimé, elle s’est ennuyée et, comme pour ne pas me décevoir, elle ajoute qu’elle l’a lu dans un moment…



[1] Philippe Delerm, La première gorgée de bière, L’arpenteur, 1997.