Nietzsche avait aimé Emerson, achetons-le. Je consulte la table des matières : dix-neuf pages pour la conférence d’Emerson contre soixante-dix de préface, ce qui ne m’excite pas tellement, mais, on ne sait jamais... Je commence par la conférence qui est fort décevante : ça vole tellement bas qu’on ne peut que douter de l’estime du conférencier pour ses auditeurs (l’élite des étudiants universitaires américains de 1837 !). Ça vole tellement bas que les nombreuses envolées d’Emerson font penser aux volettements d’une poule… américaine. Tout est très bon enfant et naïf, avec, peut-être, quelques tirades sur l’importance de l’action qui pourraient encore avoir un certain intérêt — si elles étaient moins simplettes : « L’action est la matière première avec laquelle l’esprit façonne ses splendides produits. » On dirait une conférence pour de gros bébés qu’on veut protéger contre les pervertis du vieux continent. Tous les stéréotypes d’aujourd’hui sur l’intellectuel américain. Nietzsche l’avait aimé ! J’attaque la préface en espérant qu’elle sera une mise en contexte critique qui permette de comprendre les motifs de la publication. Effrayant. Mièvrerie, superficialité, incompétence et stupidité se donnent la relève avec une franchise honteuse. Je crains que ce livre n’ait été publié que pour indiquer aux intellectuels québécois les voies de l’autonomie. Mais, non. Ce n’est pas possible, ce n’est pas possible qu’on propose cet ensemble de banalités pour des enfants de dix ans pondues pas une fille de quinze ! Seule note intéressante de toute la préface, une citation du frère Marie-Victorin qui invite les poètes québécois à sacrifier les primevères et les pervenches qui sont « des plantes étrangères à notre flore (…) Plus de primevères pour faire passer solitaire et douleur amère, plus de pervenche pour rimer avec elle se penche et sa main blanche. C’est vraiment dommage ! » C’est vraiment dommage que je me sois fait rouler par un éditeur sans scrupules (Ralph Waldo Emerson, L’intellectuel américain, Éd. Du loup de la gouttière, 1992).