Le semestre
Gérard Bessette
éd. Québec/Amérique, 1979
J’avais choisi de lire ce livre pour reconnaître, à travers
le prisme d’un roman, ma vie de professeur d’université, et en particulier les
relations entre collègues. Je voulais lire ce que d’autres pouvaient en
comprendre. Mais de cela, il n’est pas question dans ce livre. Comme si tout
lien avait été coupé. Le personnage de Bessette est
tout à fait seul. Sa femme l’a quitté, quant à ses amis, soit il a rompu avec
eux, soit ils sont morts. Professeur de littérature, critique littéraire et
romancier, Gérard Bessette a déjà sûrement fréquenté
le milieu littéraire qu’il dénigre dans ce livre avec hargne. Ainsi,
« Marin qui avait jadis et naguère assisté à maintes rencontres québécoises
d’écrivains (où l’on discutait presque uniquement de politique) puis
québécoises internationales (où l’on pesait des pattes de mouches dans des
balances de fils d’araignée), organisées les unes et les autres par Chienlit
Piton [Jean-Guy Pilon] directeur de
Tout le roman est structuré par une analyse freudienne de Serge d’entre les morts de Gilbert La Rocque (VLB, 1976) continuellement mise en parallèle avec la propre analyse de l’auteur. Ce qui lui donne une structure complexe et intéressante du point de vue formel. Le roman de La Rocque est l’objet d’un séminaire qui s’adresse à une douzaine d’étudiantes, nommées les « anglotes ». On sent toujours le porte-à-faux, la position malaisée de Bessette qui est un nationaliste québécois qui vit en Ontario et se sent incapable de revenir vivre au Québec. Ce nationalisme donne lieu à certaines analyses sauvages, dont celle-ci, de Pierre Elliot Trudeau : « Peter Elliot alias Trudeau représentait à ses yeux le prototype abhorré, Narcisse faux jeton à l’œdipe patemment non résolu et qui voulait sans doute inconsciemment ravaler-rosser son défunt père en tapant sur le Québec ».
Il y a du règlement de comptes dans cette prose incisive et, quand on aborde le rapport avec les femmes, l’érotisme, le style est tout aussi mordant. Quelques scènes de séduction entre le professeur (« vieux sentimental ridicule tu t’émeus-rêvasses comme un adolescent parce qu’une jeunette appétissante te raidit la Queue ») et ses étudiantes, dont Sandra qui lui rappelle une ancienne maîtresse.
Vieux et malade, il est toujours attiré par le sexe féminin, même s’il sent sa puissance sexuelle péricliter. Il est cependant encore « capable », contrairement à son vieil ami alcoolique Gordon Blackwell — le seul collègue dont il appréciait la présence — qui continuait de façon compulsive, et jusqu’à sa mort, à séduire les femmes qu’il rencontrait et qu’il devait fuir, aussitôt séduites, afin de cacher son impuissance. C’était au temps où la pilule bleue n’alimentait pas encore la machine à illusions. Dans le fond ce livre tourne autour du passage du temps, l’université n’étant qu’une toile de fond comme une autre.