. Je voulais être sûr que la rencontre aurait pu être de celles qui laissent un signe, même sur une peau tannée par l’âge. J’ai donc lu mon deuxième Le Clézio (Cœur brûlé et autres romances, Gallimard 2000). Il est vrai que c’est un petit livre, mais je l’ai lu en m’arrêtant une seule fois, pour mettre une nouvelle bûche. On pourrait dire, sans trop exagérer, que je l’ai lu d’un seul trait. Dernière phrase : Aujourd’hui, j’ai quitté l’incertitude de l’enfance et je marche jusqu’à ma mort sur la même route, comme doivent le faire les hommes.

J’aimerais l’avoir écrit.

Comme tous mes amis qui se vautrent dans l’écriture, j’ai toujours pensé que c’est le premier paragraphe qui dit comment le récit récitera[1], mais j’ai l’impression que dans Le Clézio c’est le final qui donne le ton. Ses finaux ouvrent la porte aux vents accumulés dans la lecture qui vous apeurent avec leurs hurlements dans les crevasses, leurs sifflements sur les crénelures et leurs gémissements entre les planches sèches de l’esprit. Les vents qui emportent tout ce qui n’est pas cloué aux phrases mille fois répétées.

Voici un autre exemple (le final de Vent du sud) : Vous dites des choses, vous avez mal et vous pensez que vous pouvez en mourir, et quelques années plus tard ce n’est plus qu’un souvenir.

J’aimerais l’avoir écrit.

Est-ce une grande rencontre, de celles qui contribuent à bâtir notre Histoire ? Je ne sais pas encore. Je veux être prudent, comme je ne l’ai jamais été — en littérature. Je veux lire encore trois ou quatre livres, avant de le mettre avec Berger et Ducharme.

Ducharme et Le Clézio ont eu un grand succès très jeunes — à vingt-trois ans Le Clézio, à vingt-quatre Ducharme — mais ce n’est pas cela qui fait que Le Clézion admire Ducharme.

Les deux refusent le spectacle,

écrivent des récits philosophiques enveloppés d’actions,

leurs phrases sont des coups de couteaux

naviguent dans la souffrance des enfants et des adolescents,

engagés, très engagés, mais jamais corrects comme les criards de leur génération

qui crurent faire une révolution et qui sont installés sur leurs vieux mots.

L’un aime beaucoup voyager, l’autre ne bouge jamais de son trou.

Est-ce important ? Depuis quand les voyages changent quelque chose dans notre regard sur le monde ? Changent-ils le regard que le monde a sur nous ?

 

Est-ce une grande rencontre ?

Peut-être. On verra.

 



[1] À ce propos j’ai lu, je en sais plus où, des considérations fort pédagogiques de Julien Gracq.