Pages of the Wound

Même si le sous-titre de Pages of the Wound (Pages de la blessure) est poèmes, dessins et photographies 1956-1996, le livre est ouvert par un dessin de 1945. Il s’agit d’un dessin de John Berger assis, nu, vu de face, titré Autoportrait. Commencer avec un tel autoportrait n’est sans doute pas innocent, comme il n’est pas innocent que dans une courte préface l’auteur oppose la conduite de la moto à l’écriture de poèmes. La conduite de la moto et l’image du corps s’opposent aux poèmes, qui parlent « de ce qui n’est pas devant vous ». La langue, employée comme un crayon 2H, lui permet de dessiner avec netteté sentiments et sensations, et de montrer, en quelques lignes, les trames que souvent la souvenance embrouille. Et cela bien que…

The tongue

       Is the spine’s first leaf

Forets of languages surrond it.[1]

Bien que…

Like a mole

       The tongue

Burrows through the earth of speech.[2]

De flou se chargent les photos et les autres dessins ; comme ce nu de femme sans tête photographié dans une nature vigoureusement sexuée ; ou ces cheveux en broussaille pris devant une broussaille qui accompagnent

In the valley

The mouth of the river like a rumor

Whispers water in the ears of the field.[3]

La nature animée ne se confond jamais avec les hommes. Avec l’homme elle partage un souffle. Les lignes précises et fortes comme celles qui, dans l’autoportrait, relient le sexe à la tête s’opposent à toute idylle insipide.

Des lignes et des couleurs.

La terre vivante est verte, verte de ce vert « qui contrairement au rouge et à l’argent n’est jamais immobile »…

green who waited

mineral ages

for the leaf

is the colour of their soul

and comes as gift.[4]

En plaçant après ce « gift » le poème Twelve Thesis on the Economy of the Dead[5], John Berger nous montre encore une fois que l’éclectisme des genres et des styles ne donne pas nécessairement de cacophonie. Voilà la première thèse :

1) The dead surround the living. The living are the core of the dead. In the core are the dimensions of time and space. What sorrounds the core is timelesness.

(La mort encercle la vie. Les vies sont le centre de la mort. Dans ce centre sont les dimensions du temps et de l’espace. Ce qui entoure le centre est hors du temps).

 



[1]     La langue / est la première feuille de l’épine / forêts de langages l’entourent.

[2]     Comme une taupe / la langue / creuse dans la terre des paroles

[3]     Dans la vallée / la bouche de la rivière comme une rumeur / murmure eau dans les oreilles du champ.

[4]     vert qui attendit / âges minéraux / pour la feuille / c’est la couleur de leur âme / et vient comme un don.

[5]     Douze thèses sur l’économie de la mort : un contrepoint sur les thèses de Benjamin.