Le dernier portrait de Francisco Goya

Goya apparaît « vêtu d’une combinaison de plongeur sous-marin » dans un cimetière de Madrid en 1988 à une jeune actrice, à un ministre de l’agriculture, à un docteur, à un nain et à quelques autres personnage qui l’accompagneront dans un périple souffrant parmi les ruines de l’histoire amoncelées par la Révolution française. Le voyage commence à l’automne 1792, chez la duchesse d’Albe qui, pour ne pas finir comme « ces mauviettes, les monarques de France », veut faire cadeau de toutes ses propriétés ; il continue, au printemps 1794, dans le parc de la même duchesse où Goya, amoureux et jaloux, promet qu’il peindra un nu meilleur que celui de Vélasquez[1] ; pour arriver dans une auberge de campagne, toujours en 1794, lieu d’un rendez-vous manqué et revenir encore dans le parc où, devant un Goya jaloux et sourd, la duchesse demande au nain de ne jamais le quitter. Un « bruit d’avion à réaction » clôt le premier acte.

Le tour continue et, en 1808, le nain et Goya « avec un chien… Toujours le même, dans ma tête » sont à Saragosse, au temps de la résistance espagnole aux armées napoléoniennes ; en 1811 on est dans la maison de Goya qui a déjà offert ses « services aux vainqueurs [qui] ne pensent qu’à une seule chose : éterniser leur image ». Le voyage de la pièce et de la vie de Goya se termine en 1828 à Bordeaux où le peintre, incapable de fermer les deux autres yeux qu’il a « derrière la tête », ne craint pas de passer pour un fou en déclarant « Je me prends pour un Francisco Goya » et « s’endort ». Avant de s’endormir, il rend un dernier hommage à la vie : Leandro demande à sa fiancée, Pepa, de mettre une robe blanche pour sortir et Goya de murmurer : « quelle chance… » (comme dans le prologue, nous sommes dans un cimetière en 1988). Ou bien ce « quelle chance… » est-il un hommage à sa mort, un dernier acte d’espoir en réplique au rassurement de Pepa : « rassurez-vous, don Francisco, vous êtes bel et bien mort » ? Sans doute les deux.

La sensibilité de Berger pour la souffrance humaine, l’endurance trempée dans la chair du sexe, l’œil du dessinateur masqué en critique certain que Goya dévêtit Maja dans sa tête, la structure complexe qui freine la course du lecteur, font de Le dernier portait de Francisco Goya une œuvre qui donnera aussi envie de retourner à Goya… aux seins impossibles de la Maja desnuda… à la pudeur du Colosse… à l’homme aux pantalons oranges fusillé le Trois mai



[1]     La toilette de Vénus.