Qui va là

Publié en anglais en 1996 sous le titre de To the Wedding : a Novel, Qui va là paraît en français aux éditions de l’Olivier en 1996 aussi. Pour ceux qui auraient suivi la séquence des romans de Berger, le livre, qui vient plus de trente ans après G. et les premiers romans plus joyciens et presque vingt ans après la  trilogie sur les paysans, n’a pas l’ampleur de G. ou la précision de Dans leurs travaux, mais possède, sur un mode plus retenu ou peut-être plus subtil, les qualités des deux. Une construction complexe en mosaïque, un récit mené par un témoin aveugle, spirite, inspiré, ultra-lucide ; des personnages emportés dans le tragique dans le sillage d’une jeune femme qu’une rencontre de hasard jette dans la mort et qu’une autre remet dans la vie ; une façon d’aborder le sujet du sida qui n’est ni documentaire ni naturaliste. On reconnaît la patte du conteur éprouvé, l’art du récit non linéaire, foisonnant, ouvrant plus de pistes qu’il n’en suit, suggérant les possibles, créant les interstices du mystère qui creusent les vraies histoires. On est loin de l’univers baroque, intime, presque familial, cru, à la fois provocant et vulnérable des photographies de Nan Goldin. Berger ne se situe pas de l’intérieur du monde de la nuit, de la sexualité toutes directions, de la drogue ou de la dérive… il n’est pas reporter, il n’est pas biographe d’un milieu à risque. Il trouve le sida dans la vie diurne, dans la banalité d’une rencontre même pas torride, même pas transgressive, même pas suicidaire. 

On reconnaît l’attention de Berger pour l’époque : si la mort rôde autour d’une sexualité libre, pas question de faire comme si de rien n’était, et de ne pas mobiliser tout ce que l’on peut contre cette mort-là. Tout ce que l’on peut… dans l’urgence, parce que toute forme d’indifférence ou, à fortiori, de rejet serait criminelle.