Un temps éventuel
Michel Van Schendel
l’Hexagone, 2002
Je viens de terminer la lecture d’Un temps éventuel de Michel Van Schendel.
Après l’introduction dont j’ai trouvé l’écriture tarabiscotée et avant Regard de peintre et geste de mots auquel j’ai moins accroché (mon inculture picturale est presque aussi profonde, hélas ! que mon inculture musicale) j’ai été complètement pris par le récit au point de repousser d’autres lectures. Van Schendel place la barre très haut, pour quelqu’un qui, comme moi, jongle avec l’idée d’écrire quelque chose qui ressemblerait à des mémoires, non seulement par ce qu’il raconte, mais par l’écriture à la fois précise, suggestive et élégante.
J’ai connu Michel Van Schendel comme intellectuel (pour avoir lu certains de ses textes), comme militant (lors de certaines luttes communes) et comme ami (dans des fêtes). Grâce à son livre, j’ai pu situer dans le temps et l’espace comment il s’est fait : son plaisir de lire, sa passion pour l’écriture, son engagement socio-politique (c’est le moment d’apprentissage que je préfère) ; les difficultés économiques de l’immigrant qui est aussi communiste, son sens de la fête…
Mais je ne le connaissais pas vraiment puisque j’ignorais
sa souffrance. Son livre
Je viens d’un milieu ouvrier, pauvre à tous les plans, y compris
culturel (mon père avait une 3e année et ma mère, une 6e).
Ma langue maternelle est le joual (à l’École normale Jacques Cartier, on m’a
fortement conseillé de suivre des cours privés de diction afin d’obtenir mon
brevet d’enseignement). Jeune, je haïssais les maudits Français, tout comme les
élèves du cours classique, car je ressentais fortement le mépris qu’ils
manifestaient pour notre joual, nos vêtements défraîchis et notre propreté
douteuse. Je me vengeais, aussi souvent que je le pouvais, en rossant les
élèves bien élevés que je pouvais attraper. Adolescent, je buvais de la Mol ou
de la Labatt : le vin ne faisait pas partie de
ma culture et j’ignorais l’existence même de bières raffinées. Ma réaction aux
remarques de
Michel n’est donc pas nationaliste, mais c’est une réaction de classe.
Pourtant, lorsque Michel parle des ouvriers français, il valorise l’argot (est-il si différent du joual ?) et il justifie leur goût pour le gros rouge. Mais, de fait, il ne parle pas de la même chose : ici il se réfère à une masse nécessairement anonyme, tandis qu’à Paris il renvoie à des individus qui ont des qualités : des gens qu’il a connus ou aimés, un couple d’ouvriers communistes, un peintre anar qu’il imagine prolétaire.
Je dois admettre que si je racontais mon premier séjour à Paris en 1966-1967, je dirais vraisemblablement des généralités qui ne plairaient pas aux Français, je parlerais par exemple de leur agressivité langagière (je devrais dire celle des Parisiens) dans la vie publique : j’ai préféré, sur ce plan, mon séjour à Londres où le sens civique rend les rapports humains plus faciles. Quand je sortais de mon petit appartement de Pigalle, je me préparais psychologiquement aux affrontements verbaux. Ces affrontements étaient d’autant plus désagréables qu’à l’époque — c’est-à-dire avant le « Vive le Québec libre » de Charles De Gaulle — les Français ne distinguaient pas notre accent de celui des Belges. Nous étions donc des moins que rien. Mais je raconterais aussi tout ce que m’a fait découvrir la France, et entre autres le bon vin, la gastronomie et l’histoire inscrite dans tout le paysage.
Ceci dit, vivement le tome deux.