D’une famille pauvre, Mohammed Choukri est né au nord du Maroc en 1935. Jusqu’à l’âge de 20 ans, il fut analphabète. Vagabond, et sans le sou, il vécut en errant de place en place, fumant du kif, buvant du vin, mangeant ce qu’il trouvait, quand il en trouvait. Il connut ainsi, la protistitution, les magouilles, l’homosexualité, la prison...

 

Il est de ces livres qu’on ne peut ni aimer ni détester. On les lit, on les digère, on admire le courage de leur écrivain, son honnêteté, son intégrité, on se sait devant une oeuvre majeure de la littérature, pourtant, en en refermant la dernière page, on sait qu’on ne les relira plus.

Parce que c’est trop atroce, trop laid, trop inhumain. Parce que « ces choses-là » ne devraient pas exister.

 

Choukri a écrit son récit autobiographique en le dénuant de toute poésie, en allant à l’essentiel, et l’essentiel n’était souvent pas drôle. À raison. Car on n’a guère besoin de maquiller la réalité quand c’est justement cette réalité qu’on veut dénoncer. Une réalité dure, ignoble, ingrate, triste, sevère. Une réalité, devant laquelle, le reste du monde ferme souvent les yeux, prétextant ne pas la voir, et donc ne pas la connaître. Choukri a eu le mérite et le courage de vomir cette réalité. Sans détours. Avec beaucoup de sincérité. Il eut aussi le mérite de casser certains « mythes » de la société marocaine : un père n’est pas toujours un héros, et est, donc, parfaitmenet critiquable. L’homosexualité existe. La prostitution, féminine ou masculine, au Maroc, n’est pas une fable ni une légende.

Est-ce à cause de cela que le roman connut dix-sept ans de censure au Maroc ? Probablement.

 

Ce qui est le plus touchant, et donc, le plus triste dans « le pain nu », c’est que tout en étant une histoire d’un pauvre marocain, qui a trimé toute sa jeunesse pour mériter le moindre repas, c’est aussi une histoire universelle.

L’histoire de ces gens « dans la marge du monde », qui non seulement naissent dans l’oubli, mais meurent souvent aussi dans l’oubli. Dans ce sens, (feu) Choukri, aurait parfaitement pu être Américain du sud ou Africain noir ou encore Asiatique...

 

Bien sûr, on ne peut passer devant le message d’espoir que lance ce récit : tout le monde peut s’en sortir, car si Choukri vécut 20 ans en « vagabond illétré », il a quand même pu, grâce à sa ténacité et sa volonté, à devenir écrivain et enseignant, et vivre décemment. Mais on ne peut, non plus, s’empêcher d’éprouver un sentiment de malaise et de dégoût devant ces atrocités que l’écrivain connut. Comment est-ce possible ? Pourquoi cela existe-t-il ? On referme alors le livre en vouant beaucoup de respect et d’admiration à Choukri, et avec cette chanson de Brel qui bourdonne à nos oreilles : « Et puis si j’étais l’bon Dieu, je crois que je ne serais pas fier... ».