Une femme[1],
après une tentative de suicide, paye un homosexuel, — le même qui l’avait
accompagnée à l’hôpital quand elle s’était coupé les veines dans les chiottes
d’un bar gai — afin qu’il la regarde « par où je ne suis pas
regardable ». Dans un jeu, où la femme est toujours en contrôle de la
situation, un déclic s’opère dans la tête de la victime et adviendra ce qui
devait advenir. Le rapport aura lieu. Et l’homicide aussi. Elle reculera
jusqu’à la balustrade, de cette maison de « style balnéaire
obsolète » de la Côte basque, où advint ce que devait advenir, sans qu’il
la touche, poussée seulement par le regard : « un grand plouf quand
le corps s’est fracassé dans l’océan en contrebas. » Non, pas seulement
par le regard : « Il n’a eu qu’à la pousser pour qu’elle tombe dans
le vide. »
Dans le livre, j’ai trouvé une définition du désir comme je
n’en avais jamais lu : « Le désir vient de la nouveauté excessive qui
fait que tout espoir de fornication possible est comme la promesse d’une
nouvelle vie. ». Une définition que j’aurais pu donner si la peur de
formuler des phrases qui risquent un rejet ne me tenait pas toujours sur la
grande route de la facilité. Un peu plus de courage dans la parole et j’aurais
pu l’écrire. Comme cette autre phrase : « Le pouvoir de la tentation ;
ce pouvoir occulte et secret qui tient en vie. » qui me semble si riche de
promesses et un antidote puissant contre la monotonie de l’accouplement.
Il a été pour moi facile de m’identifier à cette femme qui
« porte une carapace moderne et hétéroclite, composée d’un jean et d’un
T-shirt ». Comment ne pas me sentir complètement mise à nu quand elle
écrit des femmes qu’elles « n’ont pas d’innocence, mais le pouvoir de leur
apparente innocence » ? ou quand elle dit que « comprendre sans
se confondre est impossible » ? Et cette autre « Toute attente
est par définition toujours déçue. » ?
L’autre soir, je lisais à haute voix le livre à deux amis
qui n’avaient pas l’air bien enthousiastes. Après une dizaine de pages, ma voix
a commencé à ne plus m’obéir, mes mains à trembloter ; je sentais sourdre
de mon ventre « le pouvoir de la tentation ». Le moins soul des deux
me demanda ce que j’avais.
—
Rien, rien… ça
doit être de l’hyperventilation.
— T’es toujours compliquée, toi.
— Oui.
Oui, un peu comme le personnage de Breillat. Mais, je ne
suis pas sûre que ce soit de la complication. C’est moi. C’est ce que les
hommes appellent complication, faute d’en reconnaître la simplicité. J’avais
envie de leur demander : « et si ce n’était pas de
l’hyperventilation ? Ce serait quoi ? Du désir ? Ça vous ferait
peur, n’est-ce pas ? »
Un bref
retour au livre. Je n’ai pas compris l’assassinat, je le trouve sinon gratuit
au moins non nécessaire. Il me semble qu’il ne cadre pas bien dans le tout,
qu’il répond à un besoin trop immédiatement cinématographique. Pourquoi
n’a-t-elle pas fini sur cette note : « Ils s’embrassèrent comme deux
amants qui savaient et que ne troublait pas l’usage vain du
langage » ? Sans doute parce que cela aurait été trop hollywoodien.
[1] Une autre critique du Trempet du livre Pornocratie de Catherine Breillat, déjà recensé par Ematze le 19 mars.