1944.

 

Le bruit léger de ses rêves,

le feu revigoré par l’écorce,

le café qui dissipe la dernière brume

et une porte qui étouffe les cris saouls de la nuit.

Il est quatre heures

et tout va bien.

 

Je prends un livre,

un petit livre

(il est important qu’il soit petit parce que je n’ai pas de temps :

je suis en retard,

comme toujours,

et je ne sais pas pour...

pour… je ne sais pas pour… quoi).

 

Un petit livre.

Un livre de poésies de Miklos Radnoti

 

Des échardes et des dates

qui s’enfoncent :

17 janvier 1944

Pour ceux qui volent la-haut, ce paysage est une carte.

29 février 1944

Ta main ne rêve plus sur la page.

27 mars 1944

La réalité comme un vase fêlé

N’a plus de forme.

19 mai 1944

Sur cette terre j’ai vécu à une époque

où pour les enfants la mère était une malédiction.

Juillet 1944

Je gis ici, sur une planche, bête parmi les bêtes.

8 août 1944

J’étais fleur je suis racine,

lourde et noire la terre sur moi,

mon sort est ferré

une scie pleure sur ma tête.

17 août 1944

La nuit, où est-elle passée ? Elle ne reviendra jamais cette nuit-là.

Septembre 1944

Der springt nach auf[1] – on entendit sur moi,

Et déjà sang et boue sèchent dans mes oreilles,

15 septembre 1944

Ne va pas outre, mon ami : crie ! Et je me relève…

31 octobre 1944

Et les bombes des avions la-haut désirent pleuvoir.

 

Le gris chasse le noir,

le camelot lance Le Devoir,

le feu halète.

Il est six heures

et rien ne va plus.

 

Der springt nach auf. Et ils tirent.

C’était en 1944.

Il y en a un qui bouge. Et ils tirent.

C’était en 1953.

He’s still breathing. Et ils tirent.

C’était en 2002.

 

Dehors le temps avance imperturbable :

l’argent se mue en or,

le feu, fatigué, ne lèche plus la bûche.

En dedans,

(je dis en dedans parce que je ne sais pas quoi dire pour dire ce dedans qui n’est pas tout à fait dedans)

en dedans résonne

Der springt nach auf

Et le temps caille

en 1944.

 



[1] Celui-là bouge encore.