(lieux communs)

Souvent femme varie

par Ivan Maffezzini

 

(chapeau)

La femme, dit-on, est souvent imprévisible, parfois impétueuse, par moments polissonne, à tout moment insaisissable, inconstante, capricieuse, mystérieuse et légère... comme le vent.

 

Si l’on en croit les Latins, elle est même plus légère que le vent :

 

Qu’est-ce qui est plus léger que le vent ? La foudre.

Plus que la foudre ? La renommée.

Plus que la renommée ? La femme.

Plus que la femme ? Rien.

 

La femme et le vent

Comme le vent — ce mouvement aux variations infinies d’une matière impalpable — la femme change au gré d’une puissance qui échappe à votre contrôle de mâle : elle devient ainsi illogique et déconcertante. Vous l’attendez là et elle apparaît ici; vous la croyez dans la déprime la plus profonde et voilà que son rire cristallin résonne dans la maison; quand vous la pensez au comble du bonheur, elle se coupe les veines. « On ne comprend pas plus les mâles » objecterez-vous. Mais, c’est toute autre chose : dans un cas, il s’agit de l’incompréhension « normale » de deux personnes qui s’occupent de leur propre verger, dans l’autre vous ne comprenez rien, car vous ne contrôlez pas. Et, comprendre la femme c’est bien la contrôler, n’est-ce-pas ?

 

            Du vent elle sait faire un compagnon : espiègle il soulève légèrement sa jupe ou, savamment, il la dépeigne. Comme le vent, elle a la caresse légère et la force destructrice.

 

            Les lieux communs, quand ils ne sont pas de simples stéréotypes, sont le fruit d’une très lente sédimentation qui leur donne cet air suranné si rébarbatif pour les progressistes. Les innombrables lieux communs sur les femmes qui, depuis la nuit des temps, couvrent — monotones —  les cinq continents et imprègnent — solidaires — toutes les cultures, sont parmi ceux qui montrent le plus clairement les traces du temps. La vie, encore si brève, du mouvement d’émancipation des femmes n’a pu qu’éroder une infime partie des incrustations laissées par des centaines de milliers d’années de rapports entre les sexes.

 

Si elle n’est pas comparée directement au vent, elle est considérée comme un objet, léger, que le vent malin, fait ondoyer, comme dans le célèbre air d’opéra :

La donna è mobile/qual piuma al vento... (la femme se meut légère comme plume au vent). Mais, par rapport à quoi, et surtout à qui, la femme est-elle mouvante ?

 

Le mâle et les axes cartésiens

Dans la science, il y a trois siècles et demi, on a statué que tout mouvement est relatif. Aujourd’hui, il n’y a pas une jeune fille qui ne sache pas qu’il est exactement équivalent de dire qu’un train se meut par rapport à la terre ou que c’est la terre qui se déplace par rapport au train : le relativisme non seulement ne fait plus peur à personne mais il est le fidèle compagnon de route de toutes les réflexions. La jeune fille sait que dire que le train se meut est une simple convention, mais elle sait aussi que la convention n’est pas si bête que ça : le train est bien peu de chose par rapport à la terre.

 

            Depuis quelques milliers d’années, le mâle s’est placé à l’origine d’un système d’axes cartésiens et observe, immobile, des riens s’agiter autour de lui : femmes, insectes, enfants, animaux domestiques, feuilles, etc. Il y a bien sûr des hiérarchies entre les mâles, mais à chaque niveau de la hiérarchie, chaque mâle est roi. Il va de soi que ceux qui se trouvent en bas de l’échelle sont les plus tyranniques : au moindre écart, ils peuvent tout casser — dans leur petit royaume, bien sûr !

 

            Tout se meut donc autour de notre roi qui ne comprend pas qu’il puisse y avoir d’autres systèmes de référence par rapport auxquels c’est lui qui se meut, léger comme une plume. Habitué à se déplacer avec son système de références soudé au cerveau, il ne peut pas comprend les mouvements autonomes de la femme, qui devrait alterner entre le vase,[1] tout autre que spirituel, acheté pour recevoir la décharge de son plaisir et le salut des infirmes.

 

Trône de sagesse... légère

La femme se meut avant même que le mâle ne se meuve, pour donner à celui-ci l’impression que tout est stable, pour ne pas l’effrayer. Elle est un trône de sagesse, ou dans un langage plus populaire, l’intuition en personne. En effet, la vraie femme — comme la vraie mère — sait prévoir tous les désirs de son compagnon. De là, l’image d’une mythique vierge puissante, si puissante que ce que femme veut Dieu le veut. Mais elle peut se tromper et se retrouver dans un lieu différent de celui que son maître avait prévu. Elle doit donc en savoir plus que le diable pour convaincre son homme qu’elle est là justement pour satisfaire son désir (et une fois qu’elle a appris cet art elle sera assez maligne pour l’employer pour s’en servir pour elle même !). Parfois, comble de la légèreté, elle exploitera cette erreur pour s’accrocher à un autre système où un nouveau mâle lui imposera de nouvelles références, jusqu’à ce que mort s’en suive ou que la légèreté lui permette un autre changement et...ainsi soit-il.

 

Légère et subtile

Un premier mouvement de rage : « Changeons de système de référence et mettons la femme au centre, sapristi ». Deuxième mouvement — oh combien naïf ! — : « Créons des systèmes égaux ». Ce qu’il faut c’est un troisième mouvement, lent, à ruminer longtemps, léger et subtil : féminin.

 

            Là où, obtus et direct, le mâle s’oppose, ordonne et éventuellement charge, la femme esquive, souple et prudente, comme son ami le serpent, légère comme son frère le vent et clairvoyante comme l’aigle. Là où, hypocrite et léger, l’homme, rose comme un cochon, louvoie, sourit et éventuellement pardonne, la femme redouble sa prudence et oppose un insolite et ferme « non ».

 

            Seule la femme peut danser légère comme une plume, car elle seule a un attachement à la vie et à la terre qui l’empêche d’être un ballon gonflé comme ce compagnon qui lui fait des crocs-en-jambe faute de baiser. Elle seule génère de nouvelles vies. Pour elle, les mots ne sont pas un lest pour s’accrocher à la vie : pour elle, comme pour les poètes, les mots polychromes sont les fils qui nous sortent de la vase.

 

            Malheur à la femme qui n’a jamais été dans un état de forte sujétion, car il lui manquera la légèreté, la prudence et la sensualité nécessaires pour libérer l’existence du poids d’une culture ennemie de la vie. Êtes-vous sûrs, vous qui méprisez Brigitte Bardot qu’elle n’a pas fait pour l’humanité plus que Hegel ? Mitsou plus que Derrida ? Piaf plus que Marie Curie ? Êtes-vous sûrs ? Mais, qui êtes-vous ? Des hommes de culture ? Ah, pardon.

 

            Il est facile de prévoir que pas plus les Américaines que les Nordiques, si émancipées, ne réaliseront une société plus attrayante pour les femmes, mais que ce seront les femmes arabes, chinoises ou japonaises qui sauront créer un vrai équilibre entre inégaux. Ce seront elles qui, un jour, se libérant de la tutelle actuelle, n’opposeront pas sottise à bêtise, rigueur à rigidité et narcissisme à individualisme. Leurs filles n’auront plus besoin de Adorable, Jeune et jolie ou Seventeen; légères et rusées elles connaîtront, peut-être, l’extase de l’allaitement à l’âge où les petites occidentales se bourrent d’ecxtasy.

 

            Et celle qui ne veut pas d’enfants ? Elle sera seulement une personne, un sujet, un individu, une citoyenne...

 

 

Encadré 1

Fin de soirée

Il est un mec gentil. Avec lui elle aime discuter de journalisme, des problèmes de l’Afrique, d’art... Elle l’aime bien, mais pas plus que ça. Lui, il insiste. Un soir, après quelques bières et un peu de pot, de guerre lasse, elle cède. C’est la première et la dernière fois pense-t-elle et elle le lui dit. Le lendemain, il termine de raconter l’aventure à un ami en disant qu’il n’arrive pas à comprendre comment on peut changer si vite et se refuser comme une vierge offensée après avoir cédé si facilement.

 

Encadré 2

La carte postale

Depuis un an, il est question de se quitter. Elle part pour un bref voyage en Europe. Début mars, il reçoit une carte : « Je t’aime, ta chatonne ». Le quinze mars elle lui annonce qu’elle est amoureuse de ce connard d’espagnol; le seize, elle déménage avec son fils.

 

Encadré 3

Le pays change et le sens reste[2]

Caractère de femme et brise d’hiver changent souvent (anglais).

 

Trois sont inconstants :l a femme, le vent et la richesse (indien).

 

Rien de plus changeant que le temps et les femmes (roumain).

 

Le vent change chaque jour, la femme chaque seconde (espagnol).

 

Ne vous fiez ni à l’épousée de veille ni au temps du matin (estonien).

 

Cœur de femme, œil de chat changent cent fois (japonais).

 

Le cœur d’une femme est aussi fuyant qu’une goutte d’eau sur une feuille de lotus (vietnamien).

 

N’ayez confiance ni dans le ciel de mars qui rit ni en la femme, même si elle prie (berbère).

 

Chef, femme, rivière, nuit aucune créature ne s’y fie (foulfoulde).

 

La femme est plus changeante que les vents (latin).

 

Les mots des filles sont plus légers et vains que les feuilles sèches (latin).

 

 

 



[1] Les expressions vase spirituel, salut des infirmes, trône de sagesse,, vierge puissante  sont tirées des Litanies de la sainte vierge, qui concentrent encore plus de lieux communs que tous les proverbes du monde réunis.

[2] Tous le proverbes exceptés ceux d’origine latine sont tirés de Dictionnaire de proverbes et dictons, Dictionnaires le Robert.