Ce
n’est pas le Pythagore du carré de l’hypoténuse que nous présente Ovide dans la
conclusion de ses Métamorphoses. Ce n’est pas non plus pour nous
raconter comment le philosophe a fini par se transformer en crapaud ni pour
nous mettre la puce à l’oreille sur l’originalité des ordinateurs. Comment
aurait-il pu ? Quand Ovide naquit (en 43) si l’informatique était loin
d’être une profession très rentable, à l’époque de Pythagore (VIe
siècle avant notre ère) elle vivait encore plus en sourdine. Et pourtant ce
mathématicien, comme les informaticiens de notre siècle, pensait que les
nombres sont les principes de toutes les choses. Non. Ovide parle de ses
positions végétariennes qui détruisent le mythe très répandu que seuls les Orientaux
voyaient la nature sans solution de continuité. Pythagore, grand prêtre de la métempsychose, ne pouvait
certainement pas accepter que les hommes mangent des animaux car ils pouvaient
abriter l’âme d’un humain. À ce propos, j’aimerais poser une question à
Pythagore : « Si l’âme humaine peut passer dans les végétaux, comme
la frange la plus radicale de tes adeptes le soutient, comment les hommes
peuvent-ils survivre ? » En attendant sa réponse (attente pas du tout
métaphorique : qui me dit que son âme, après de longues pérégrinations,
n’a pas trouvé refuge dans le corps paisible d’une lectrice de Conjonctures ?),
je ne vois qu’une solution : pousser la technique, à l’aide des
ordinateurs, grands mangeurs de chiffres, à créer des aliments en partant des
roches. Comme quoi on détruirait un autre mythe, celui des végétaliens réactionnaires
qui veulent un retour à la nature sans la saleté de la technique !
Maintenant la parole est à Pythagore :
Abstenez-vous
mortels, de souiller vos corps de mets abominables. Vous avez les céréales,
vous avez les fruits, dont le poids fait courber les branches, et, sur les
vignes, les raisins gonflés de jus ; vous avez des plantes savoureuses et
d’autres que la flamme peut rendre douces et tendres ; ni le lait, ni le
miel, qu’a parfumé la fleur du thym, ne vous sont interdits ; la terre,
prodigue de ses trésors, vous fournit des aliments délicieux ; elle vous
offre des mets qui ne sont pas payés par le meurtre et le sang. Ce sont les
bêtes qui assouvissent leur faim avec de la chair, et encore pas toutes ;
car les chevaux, les moutons et les bœufs se nourrissent d’herbe. Il n’y a que
les animaux d’une nature cruelle et féroce, les tigres d’Arménie, les lions
toujours en fureur, les loups, les ours, qui aiment une nourriture
ensanglantée. Hélas ! quel crime n’est-ce pas d’engloutir des entrailles
dans ses entrailles, d’engraisser son corps avide avec un corps dont on s’est
gorgé et d’entretenir en soi la vie par la mort d’un autre être vivant !
Quoi donc ? au milieu de tant de richesses que produit la terre, la
meilleure des mères, tu ne trouves de plaisir qu’à broyer d’une dent cruelle
les affreux débris de tes victimes, dont tu as rempli ta bouche, à la façon des
Cyclopes ? (…)
Nous
aussi, qui faisons partie du monde, puisque nous ne sommes pas seulement des
corps, mais aussi des âmes légères, nous pouvons aller habiter des formes de
bêtes sauvages, être cachés dans des corps d’animaux domestiques : ces
corps, qui peuvent avoir reçu en partage les âmes de nos parents, de nos frères
ou d’êtres qui nous sont unis par les liens du sang, en tout cas des âmes
humaines, laissons-les vivre tranquilles et respectés ; ne chargeons point
nos tables de leurs chairs dans des repas dignes de Thyeste. Quelle habitude
funeste il contracte, comme il se prépare bien à verser le sang humain l’impie
qui, armé d’un couteau, déchire le cou d’un jeune taureau, et entend d’une
oreille indifférente ses mugissements, l’homme capable d’égorger un chevreau
qui pousse des vagissements semblables à ceux d’un enfant ou de manger un
oiseau qu’il a nourri de sa main ! Quelle distance y a-t-il de pareils
actes à un crime complet ? (…) Plus de filets ni de pièges, ni de lacets,
ni d’engins perfides ; cessez d’abuser l’oiseau avec des baguettes
enduites de glu, de duper les cerfs avec des épouvantails de plumes, de cacher
des hameçons recourbés sous des appâts trompeurs. Tuez des animaux nuisibles,
mais ceux-là mêmes, contentez-vous de les tuer ; que votre bouche
s’abstienne de pareils mets, qu’elle ne touche qu’à des aliments obtenus sans
violence. (…)