L’exemple
— Comment donner
l'exemple ? Mais en usant d'autorité.
Une
réponse imbécile à une question centrale pour le débat sur l’éducation est le
clou d’un article paru dans Le Devoir au mois de mai et signé par un
professeur-journaliste de l’UQAM.
Dans une société dominée par
l'économisme, le pragmatisme et la recherche du petit intérêt de chacun, il
faut qu'une autorité impose des règles qui vont à l'encontre des modes et, en
ce qui concerne l'éducation, cette autorité est le ministre de l'Éducation. Voilà
la thèse du brave profiste en éducation. (C’est inutile de souligner que notre
enseignant est très cultivé et que quand on est cultivé on a toujours une thèse
et, souvent, des hyp(r)othèses dans le cerveau)
De prime abord, on ne peut qu’être
d’accord avec ses affirmations. Personne dans notre petit cercle n'oserait nier
que « l'université a une fonction critique ». Qui n'est pas contre
« le vocabulaire fumeux qui a cours en éducation » ? Qui n'est
pas pour « le franc parler » ? Qui oserait contester que notre
civilisation connaît une « crise d'autorité » ? Qui, parmi ceux
qui essaient de réfléchir, n'est pas contre « l'économisme ambiant..., le
pragmatisme et le matérialisme ambiants... contre la rectitude politique et
contre les modes qui sévissent partout..., contre l'utile » ? Un
minestrone de lieux communs, réchauffé, pas trop chaud, pas trop. Et nous, nous
qui aimons le minestrone, nous qui réfléchissons au rythme de cuisson des
navets, nous qui enseignons ce qui ne nous est pas assez cher pour être
soigneusement gardé, nous sommes, somme toute, d'accord. Et alors ?
Pourquoi cela ne fonctionne pas ?
Peut-être parce qu’on n'est pas
assez bons cuisiniers ou assez bons amants ou assez bons sacristains, ou, dit
plus directement, pas assez bons. Peut-être parce que, comme disait Pavese,
n’ayant pas assez de couilles, on demande au ministre de les exhiber.
« Les profs à la recherche des couilles perdues », voilà un très beau
titre pour un essai fleuve sur l’enseignement dans le monde.
On n’a pas besoin de ministres, avec
ou sans couilles, pour améliorer l’enseignement. Mais, s’il est là et qu’il
doit quand même gagner sa croûte, laissez-le donc légiférer, faire des
recommandations, diminuer les subventions, augmenter les contrôles, etc. Tout
cela ne changera pas d’un iota la qualité de l’enseignement.
Heureusement. Dans tout régime, fasciste, stalinien, stupidiste, démocratien ou
autre, un maître peut enseigner et développer l’esprit critique et
l’intelligence (si les neuf mois dans le ventre de la mère ont été productifs).
Mais il y a un point dans son
article où notre profiste atteint des niveaux de bêtise dignes des meilleurs
intellectuels. Je me demande si, parfois, à tête reposée, il se rend compte
qu’en écrivant :
« Comment donner l'exemple?
Mais en usant d'autorité »
il
a fait une contribution significative à l’augmentation de la bêtise
universelle.
On
ne pouvait trouver formule plus belle et plus concise pour illustrer la logique
« simple » du fascisme des intellectuels post-quelque chose qui prend
sa source dans le besoin d'autorité et se fonde sur le roc du soi-disant
universel. Une logique simple, primaire, proche du franc-parler et loin
de la pensée. Il est notoire que fascisme et esprit primaire couchent souvent
dans le lit du bon sens en engendrant des êtres très pragmatiques. Un
enseignant peut-il être égaré au point de ne pas comprendre que l’exemple donné
par l’autorité établie tue la critique ? S’il était un vrai enseignant il
aurait écrit :
« Comment avoir de l'autorité ?
Mais en donnant l'exemple »
L’autorité
se construit sur l’exemple. Ça devrait être simple pourtant. Maintenant je
comprends mieux le sourire tristounet de ce profiste aux fines lèvres ? Il
est triste parce qu’il sait que c’est lui et personne d’autre qui doit donner
l’exemple (lui en chair(e) et en os et lui en tant qu’« abstraction »
représentant les enseignants). C’est dur de donner l’exemple et les choses
dures n’ont pas toujours bonne presse chez les mâles rangés.
Si l’on veut être gentil avec notre enseignant on peut lire la phrase incriminée de manière telle que non seulement elle n’est plus imbécile, mais elle devient intelligemment révolutionnaire : il suffit en effet de prendre user dans le sens d’épuiser et de considérer le « d’ » comme une erreur de frappe pour « l’ » :
Mais en usant l'autorité.
On peut donc donner l’exemple en
épuisant l’autorité officielle. Que le ministre intervienne donc, et avec son
exemple il « usera » l’autorité politique, établie lors de la foire
électorale, permettant ainsi à nos jeunes de comprendre que « la lutte
contre la mode », le « vocabulaire fumeux », etc. ne se fait pas
avec le « franc parler », qui est le propre des « économistes et
des pragmatistes » surtout, mais en dévitalisant, avec la fraise des
dentistes anarchistes et sans aucune anesthésie, les dents du pouvoir. Si
c’était ça qu’il voulait dire (mais j’en doute), je m’excuse profondément et,
pour expier ma faute, je ferai l’année prochaine le tour de l’île à bicyclette
(à contresens, bien sûr, pour regarder dans les décolletés des cyclistes).