Gengis Gates

 

« … mais alors Bill Gates aussi est un héros. Il est intelligent, ambitieux, puissant… il a créé en partant de rien un empire comme Gengis Khan…»

 

Il se permit même de syllogiser ce porteur de Pampers qui ne fait pas de différence entre modus ponens et modus operandi. Au lieu de lui parler de porosité et de rhizomes, ses profs post-malins auraient mieux fait de lui enseigner le modus vivendi. Depuis quand on donne des leçons à un homme qui aurait pu peloter ta grand-mère ? Seul le respect que j’éprouve pour mon âge m’empêcha de le provoquer à une bite de fer publique !

 

Mon pitchoun, voilà un syllogisme qui te fera sursauter (mais pas sauter sur, bien sûr) : tous les individus qui transforment le monde en se fondant sur leur force et la bénédiction des dieux sont des héros. Bill Gates et Gengis Khan ont transformé le monde etc. etc. donc ils sont des héros. Pas nécessairement des héros avec qui partager un sortie de phoque, mais depuis quand on juge l’héroïsme en fonction de nos chétives préférences ?

 

C’est vrai que j’ai des amis qui, tout en ne portant plus de couches (en théorie !), sursauteraient de la même manière. Mais eux, après deux coupes de champagne, je peux les comprendre : ce n’est pas de leur faute si le temps leur a affaissé la cervelle. Tôt ou tard moi aussi… Eux, ils parlent de héros classique, du risque  de la vie comme conditio sine qua non de l’héroïsme. Quand ils sont des femmes ils peuvent même nous faire tout un charabia sur le rapport à la mort des femmes et des héros. Quand ils se prennent trop au sérieux ils peuvent parler des héros de la parole et du rapport entre démocratie et héroïsme. Pour se rendre intéressants ils mettent dans le même bain Gil Gamesh et Don Quichotte. Ce sont des vieux amis, vieux. Et on aurait dû t’enseigner que la vieillesse et l’amitié ne servent qu’à laisser aller[1]. Mais, toi tu n’es ni ami ni vieux.

 

Toi, bien sûr tu ne crois pas au héros classique. C’est quoi un héros classique ? Une espèce de brute qui massacre ses ennemis souvent sans aucune classe. Et bien, Bill Gates est loin d’être une brute. Comme tous les commerçants et les hommes d’affaire, il n’a pas de bonne presse dans l’épopée. Toi qui n’aimes pas les héros classiques, tu devrais en faire ton héros : il va à la conquête du monde sans armes, seulement avec la force de son intelligence. Avec ses chevaliers de l’informatique il lutte contre les monstres préhistoriques de la vielle technique, il essaye de rentre plus souples les rapports au monde, il veut que toute la terre jouisse de ses conquêtes… Ça c’est un grand pas en avant pour l’humanité : la conquête sans meurtre. Ça c’est du progrès, n’est-ce-pas ?

 

Tu dis que le progrès et la conquête ne t’intéresse pas ? C’est bien là ton problème. D’autres s’y intéressent. D’autres moins poreux et plus fascistes.

 

Les héros non plus ne t’intéresse pas ? C’est bien là ton problème. Ton groin continuera à fatiguer la boue de ton minuscule et souffrant enclos.



[1] Ce qui n’est pas Le laisser faire.