Lettre de Pond Inlet
Ciao,
J'ai lu l'article que tu as tiré de notre rencontre
du mois de février. Si tu veux garder mon nom, j'aimerais que tu publies cette
lettre.
L'image,
forte, de la semence si étroitement associée au sperme ne doit pas cacher le
fait que la masturbation féminine est du même acabit : le mal est dans l'isolement et la solitude si
fonctionnels dans la société. Je crois que l'image de l'engrais au lieu de la
semence aurait été plus précise, mais je ne pense pas que Françoise, citadine
jusqu'au dernier poil, aurait pu la comprendre. C'est avec l'agriculture que
naît la violence du mâle qui ouvre la terre pour y jeter la semence volée à
l'arbre.
C'est
à partir de là qu'on déplace l'importance de la vie-femelle (de la graine à
l'arbre, à la fleur, à la graine qui tombe pour générer un nouvel arbre...) à
la vie-mâle (le labeur de mettre la graine à la bonne place pour augmenter la
productivité). Et peut-être que la technique, légère, un jour...
Je
t'envoie ce texte inuit qui est tiré de la célèbre revue Commerce
publiée dans les années 20
par Valéry. Je crois qu'il t'intéressera.
Nukarpiatekak
Un vieux garçon c'était, n'ayant plus soin de son
kayak, qui était devenu tout vert. Plus haut dans le fjord vivait un homme
ayant fille très belle.
Et
un matin le vieux garçon se leva, quand les autres de l'igloo dormaient encore.
Lava sa tête, lava son corps, gratta les plantes vertes sur son Kayak et le
voici en route vers la demeure de l'homme à la fille très belle... À son
approche les gens lui disaient : Débarque ! Et puis :
Entre !... La fille était assise à un bout de l'igloo. Si belle à voir
qu'il en devint tout chaud et mourut presque de désir.
Quand
Nukarpiartekak eut enlevé et suspendu sa cotte de fourrure, il vit que la belle
fille lui souriait : et aussitôt il s'évanouit. Et revenant à lui et la
regardant de nouveau, lorqu'il eut vu qu'elle souriait encore, alors il
ressentit un tel désir qu'il en perdit encore le sens.
Et
chaque fois qu'il revenait à lui après avoir perdu le sens, voici qu'il se
rapprochait un peu plus de la belle fille. Et quand les autres se couchèrent,
Nukarpiartakak vit qu'elle préparait une couche pour lui en même temps que pour
elle : et, voyant cela, il s'évanouit encore, et sa tête tomba avec bruit
sur la plate-forme de couchage. Lorsqu'il reprit ses sens, il ressentait
toujours un violent désir : il approcha encore de la plate-forme où l'on
se couche, mais dès qu'il l'eut touchée, il tomba face en avant.
Alors,
ils s'étendirent l'un près de l'autre. Et elle était si belle qu'il pensa bien
qu'il en mourrait. Puis Nupartiartekak l'étreignit. Et puis il s'évanouit en
elle. D'abord ce fut comme s'il s'enfonçait en elle jusqu'aux genoux; puis
jusqu'aux bras, puis jusqu'aux aisselles, et le bras droit s'enfonça, et puis
l'homme jusqu'au menton s'enfonça. Et à la fin il poussa un grand cri et disparut
en elle complètement. Les autres s'éveillèrent. Demandèrent ce que c'était.
Mais nul ne répondit.
Quand
au matin on alluma les lampes, Nukarpiartekak avait disparu, son kayak était
encore au rivage... La belle quitta l'igloo pour faire de l'eau et, avec elle,
le squelette de Nukarpiartekak sortit.
(Recueilli au Groëland par Holm en 1884.)