Nouvelle tête
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our oublier une boîte
de phoque hypersalée que je venais d’avaler après une sortie infructueuse du
côté de chez Swaq, je me mis à compulser le numéro spécial de Scientific American sur « Your
Bionic Futur ». Vu que la présentation disait que « […] les articles
de ce numéro font des extrapolations prudentes pour le futur », en
tombant sur l’article « Transplantation de la tête », je me dis que,
comme d’habitude, le titre de l’article allait bien au delà des intentions de
l’auteur[1]. Et bien, non.
Neurochirurgien qui a déjà transplanté la tête d’un petit singe sur le
corps d’un autre, l’auteur de l’article, écrit, sans avoir l’air de trop remuer
les sourcils, que « l’opération sera plus facile sur des humains ».
Après des détails assez hards sur la
manière d’opérer, il nous dit que le seul vrai problème est d’« éviter
que la tête rejette le nouveau corps, et vice versa ». (Notez la grâce
de ce « vice versa ».) Ayant la tête bien plantée sur les épaules, il
nous donne aussi des détails fondamentaux de logistique « […] la salle
d’opération devra être assez grande pour accueillir deux équipes »
parce que « les opérations devront être faites en même temps sur les
deux patients ».
Ce qui est étonnant dans ce genre d’affaire c’est que ces messieurs qui
nous proposent les choses les plus insensées dans leur domaine sont d’une
prudence et d’un conformisme ultra plats quand il s’agit de regarder un peu
plus loin que leur nez dans d’autres domaines. Par exemple, quelle platitude
dans le choix des candidats qu’il nous propose : « des gens paralysées
du cou aux pieds […] » qui auront le corps de quelqu’un dont « le
cerveau a été déclaré cliniquement mort ».
Voici des propositions un peu moins coincées. On pourrait imaginer des
corpitaux, des bâtiments contrôlés par le ministère des Échanges Intercorporels
où les têtes déposeraient leur corps pour une période de location et
partiraient avec un autre corps. Il y aurait des cas rigolos (la vieille mémé
qui prend le corps d’un jeune Apollon ou la femme qui sort et revient avec le
corps de la belle-mère) ; de moins drôles (la femme battue qui prend le
corps d’une armoire à glace et qui laisse son corps au juge qui ne l’a pas
crue) ; des cas qui feraient parler beaucoup les médias (le pédophile qui
choisit le corps d’un enfant) ; des cas pour les psy (le narcissique qui
s’en retourne avec son corps) ; des échanges inutiles (le délinquant qui
prend la tête d’un policier) ; des cas pour Cosmopolitan (« je veux perdre vingt kilos » et elle
revient avec des cuisses du diamètre d’une queue de billard)… De beaux cas direz-vous,
mais comment changer d’idées ? Tout ce qui précède sous-entend que ce
qu’on est, c’est dans la tête.
Oui. Je n’ai pas été assez imaginatif. Je me suis laissé entraîner par la
fin de l’article : « le cerveau humain est l’entrepôt physique de
l’âme ». Et si l’entrepôt était tout le corps ? Alors les échanges
seraient encore plus intéressants malgré un danger réel de schizophrénie.
J’arrête d’écrire et je m’en vais au corpital prendre le corps d’une jeune
pute en espérant que mon âme ne soit pas toute dans mes couilles.