Le temps
— Avec le temps, va,
tout s’en va...
Combien
l’ai-je aimée cette chansonnette ! Je fredonnais souvent sa traduction en
italien « Col tempo sai... »; j’en arrivai même à l’élire « chanson
la plus triste », pour le concours de mon ami Gaston. Pauvre de moi.
Je t’en veux, Léo, de m’avoir
convaincu que ce ramassis de lieux communs était plus intéressant que les
refrains de Sylvie Vartan « Buona notte, buona notte... ». Je t’en
veux pour ton manque de poésie, tes stéréotypes, ta lourdeur : tu parles
comme une institution, toi un soi-disant anarchiste ! Je t’en veux de
m’avoir presque convaincu que les jambes de Sylvie, ses moues, ses allusions
faciles étaient moins intéressantes que tes râles.
Je t’en veux d’avoir contribué, à
ton échelle, bien sûr, à renforcer la croyance que la profondeur, fille de la
souffrance, puisse aider en quoi que ce soit les gens. D’avoir donné
l’illusion, à trop de petits bourgeois, qu’ils étaient plus...
« Et l’on se sent floué par les
années perdues ». Perdues à quoi faire ? À vivre ? À
oublier ? Et si l’on oubliait seulement ce qu’on n’a pas aimé ? Et si
ce qu’on croit oublié était toujours là, avec sa pointe douce-amère et qu’il
suffisait d’écouter ? Et si tous les nouveaux visages portaient les traces
de tous les vieux ? Et si tout n’était que trace, mon cher Léo ?
Pauvre de toi qui crois que la mort
porte l’oubli et ne vois pas que c’est l’oubli qui porte la mort.
« Avec le temps on n’aime
plus ». Pauvre de toi qui mets toujours un mot de trop dans tes vers.
Puis-je t’enlever le «n’» ? Ça rend le vers moins lourd, plus poétique.
Merci.
« Avec le temps on aime
plus ».
Oui, c’est vraiment la chanson la
plus triste, la plus pauvre.