Le Walhalla
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our trouver les géants parmi
les compositeurs (…) oublie les vieilles catégories et honore l’évidence des
oreilles [1].
En d’autres termes : « fie-toi à toi-même ». Combien de fois
ils nous ont fait chier avec leurs stéréotypes et leurs canons ! Combien
de gens ont étouffé leurs sentiments les plus profonds et ont boudé leur
plaisir pour suivre les diktats d’une culture incapable de suivre les
temps !
J’aime oublier les catégories (surtout les nouvelles !)
et j’aime honorer les oreilles (comme toutes les autres parties du corps, même
les moins honorables), mais je n’aime pas « l’évidence » dans des
contextes où elle est opposée au travail de la culture, où elle est employée
comme un mot magique pour flatter la vanité des paresseux. Ce mot qui
dit : seul ce qui est net est vrai et sûr, le reste n’est que du n’importe
quoi pissé par des intellectuels sans scrupules, je ne l’aime pas.
J’aime critiquer les intellectuels ; j’aime les mettre
au pied du mur, mais je n’aime pas les discours démagogiques, réactionnaires et
anti-intellectuels des pauvres d’esprits.
L’évidence des oreilles.
Les compositeurs ne sont pas des pinsons. Les sons qu’ils
extraient des instruments ne sont pas naturels. La musique, contrairement au
chant des merles, a une histoire façonnée aussi par les hommes. La musique,
comme la littérature, ou tout autre produit de l’activité de l’esprit, n’est
pas un champ où l’on glane des épis de plaisir quand ça nous chante. Les
produits de l’esprit sont ce qu’il y a de plus difficile à saisir, ils sont
évidents seulement après qu’on a pris l’habitude de les toucher. Ce sont des
montagnes escarpées avec des avalanches toujours prêtes à ensevelir les
villages des vacanciers, des amateurs de paix. Ils sont des montagnes qui
demandent pattes de chèvre, tête d’aigle et ruse du serpent.
L’évidence des oreilles, sans le travail de la culture,
n’est qu’animalité brute. Le travail de la culture, sans l’évidence des
oreilles, n’est que cliquetis d’éclats de vitre sans éclat.
[1]
David Schiff, « A New Measure for Heroes in Music’s Valhalla », New-York Times, 28 février 1999.