Madonna
par Alice Premiana
Q |
u’est-ce que tu me
chantes là ? Elle est un pur produit de l’industrie du divertissement.
Elle représente tout ce que tu dis haïr dans le système : convention, attachement
au fric, vulgarité, provocation facile…Il est clair qu’il faut être conne et
non pas héroïne pour avoir un tel succès. Tu es encore enchaînée aux stéréotypes
de ton pays : la femme est vierge et mère ou putain. Ça doit être son nom
qui t’a aveuglée. J’admets que se faire appeler Madonna est un choix pas mal
pour une italo-américaine ! ». Ma meilleure copine m’apostropha ainsi
quand je lui parlai, très enflammée, de Madonna.
Elle se trompe, ma copine. Elle se trompe sur deux choses : sur
l’héroïne et sur la cause de mon soi-disant aveuglement.
Je n’ai jamais dit que Madonna était une héroïne. Une héroïne est un
petit héros ou la compagne qui singe le héros — comme cette brave Jeanne d’Arc.
Elle n’est pas héros non plus et pas à cause de l’accord grammatical. Elle ne
l’est pas car l’héroïsme est le propre des mâles qui en ont besoin comme les
paons de leur queue, les voitures de leurs roues et les poissons de l’eau. Ils
en ont besoin pour se hisser au niveau des femmes, pour faire un pas vers les
femmes, dans l’amour. Madonna est, tout bêtement, une femme spéciale : un
super Héros[1].
Ce n’est pas le nom qui m’aveugle. C’est la lumière qui émane de son
corps et la force de sa voix ; ce sont ses mouvements souples sans être
mous, son maintien et sa contenance, sa classe dans la vulgarité et sa
démesure qui, éventuellement, m’aveuglent. Je ne me sens ni ridicule ni
lesbienne en criant tout haut qu’elle est un super Héros. Un Héros magnifique
et resplendissant bien plus qu’Achille. Qu’a-t-il fait Achille de si glorieux ?
Il a tué Hector permettant ainsi aux Grecs de conquérir Troie. Et cela, si on
veut être généreux, a changé la vie de quelques milliers de personnes. Madonna
n’a pas tué (du moins personne n’en parle) mais elle a changé la vie de
millions de personnes. Avec son exemple elle a influencé les manières de penser
des nouvelles générations plus que toutes les féministes et les politiciens réunis.
Avec ses mouvements sans fadeur elle a ouvert la porte à une avalanche
de jeunes femmes trop à l’étroit dans les idées de leurs parents. À coup de bassin
elle a fait fuir des bandes de jeunes hommes apeurés.
L’autre jour, quand mes deux petits-enfants discutaient avec leurs amis
des « problèmes de filles » et qu’ils disaient que les filles étaient
moins romantiques que les gars, qu’elles n’avaient plus de douceur et qu’elles
étaient des clones de Madonna, j’étais douloureusement tiraillée entre la
femme et la grand-mère. Malheureusement, comme jadis la mère, la grand-mère a
gagné. Mais, plus tard, dans mon lit toujours plus vide, je me suis juré que la
prochaine fois je réagirai comme femme. Comme Madonna. Et si mes petits enfants,
comme des milliers de jeunes de leur génération, passent quelques heures par semaine
chez le psy ce ne sera pas une grande tragédie. Avant de rattraper le mal qu’on
a fait aux femmes en les emprisonnant dans des asiles, des couvents ou des
maisons, tous les psy du monde seront millionnaires.
Que le second sexe soit le premier a toujours été un secret de
Polichinelle. Et les gens sensibles et cultivés disent qu’il ne faut pas le
dire trop haut. Qu’il faut cacher son jeu. Souvent on entend dire que les
femmes arabes ou orientales avec leur ruse obtiennent beaucoup plus que les
femmes occidentales avec leurs luttes. Madonna obtient plus que les femmes arabes,
orientales et occidentales réunies sans besoin de cacher la main qui frotte.
Elle fait flèche de tout bois. Il suffit de considérer son usage du
corset : de symbole de soumission à arme de libération ! Dans son
excès de force (dans sa démesure comme auraient dit les Grecs) elle transforme
les chaînes en armes offensives. C’est vrai que cet excès fait peur à beaucoup
d’hommes et agace bien des femmes, mais parler de Héros (et à plus forte raison
de super Héros) sans excès n’est-ce pas une contradiction dans les
termes ?
[1] Les super-héros mâles des
bandes dessinées ne sont que des caricatures des héros classiques, fruits des
envies enfantines des auteurs.